Produits dérivés et pèlerinages

Il paraît qu’en ce moment, le tourisme religieux est en hausse. Une retombée immédiate de la canonisation de notre petit frère sera une augmentation notable des visites à l’Oratoire. Même en temps normal, il y a en moyenne deux millions de visiteurs au temple dédié à Saint-Joseph. Et là-dessus, 40 % sont des étrangers. Donc les locaux y vont. Beaucoup aussi par fétichisme. Je me rappelle d’une procureure de la Cour municipale à Montréal avec qui j’avais eu une passade. Elle n’était pas plus croyante qu’il le faut. Mais quand elle espérait pour elle un grand changement dans sa vie, elle se rendait toucher la tombe du Frère André.

Les Pères de Sainte-Croix sont d’habiles financiers, comme toutes les communautés religieuses. Et je ne dis pas cela négativement. Si ces mêmes communautés avaient géré le gouvernement comme elles gèrent leurs biens, non seulement il n’y aurait pas de déficit, mais nous engrangerions d’énormes profits. Les Pères de Sainte-Croix en auront d’ailleurs bien besoin, car les trompettes de la renommée autour de la sainteté du Frère André vont bientôt faire place à des procès au criminel pour abus sexuels. Ça c’est moins drôle, et je crois pas que le Frère André aurait apprécié.

Un souvenir personnel

Je le sais, vous raffolez que je me raconte pour appuyer mes dires. En 1996, j’ai eu à m’occuper de l’organisation d’événements marquants le 40e anniversaire des Petits Chanteurs du Mont-Royal. Qui sont sous la tutelle de cette communauté. Il y avait même un père délégué pour s’occuper de l’administration de la Maison des PCMR et des études de ces jeunes aux voix de colibri. Je devais récolter des fonds pour alimenter la caisse de la maîtrise vocale. Une noble tâche pour laquelle je m’enthousiasmais. Je baignais donc dans la culture de l’Oratoire. J’avais mon bureau dans l’enceinte même de la Maison.

Et au contraire de vous, qui démarrez votre journée au son de Radio Énergie ou Rythme FM, moi, c’était au son de Palestrina et de Mozart, puisque mon bureau était mitoyen du petit amphithéâtre de la chorale. Je reviens au fric. Pour solliciter, j’envoyais des courriers et il me fallait des timbres. Ma ration étant vite épuisée, j’allais donc voir mon très cher père pour lui demander une autre « slice » de timbre. Il tombait toujours des nues comme si je lui arrachais un trésor. Je finissais par avoir raison en argumentant que si on voulait de l’argent, fallait quand même aller à la pêche et dépenser 50 cents par lettre.

Un gros 5$ à Noël

Arrivé au temps de Noël, à ma grande stupéfaction je reçu une invitation pour une petite rencontre amicale avec le personnel proche des Petits Chanteurs. Dans un restaurant non loin, on s’est retrouvé. D’habitude je déteste ce genre de retrouvailles, mais comme les pères dépensaient pour une invitation, c’était un événement. Chacun avait eu droit à une jolie carte de vœux de l’Oratoire avec un gros 5 $ à l’intérieur. C’était en 1996. Avec l’inflation, imaginez ce que ça vaut aujourd’hui!

Mais plus grand encore fut mon étonnement quand je regardai de plus près l’illustration de la carte, une Nativité de l’époque baroque. En tout petit, mais vraiment à lire avec une loupe, il était écrit « collection privée de l’Oratoire ». Dites donc, très cher Père, comme il est mentionné dans les Écritures, celui qui me suivra ne manquera de rien, et ça paraît. Combien pouvait valoir une toile semblable? Le père haussa les épaules, indifférent. L’Oratoire est une machine à fabriquer des dollars.

Retour au Frère André

Quand on pense que le frère André a tellement emmerdé la communauté. Lui, puis ces maudits miracles. La direction avait même peur que les malades qui venaient le voir contaminent les locaux du Collège Notre-Dame où il était portier. Le frère André, qui avait tout un caractère, avait eu cette boutade : « On m’a mis à la porte et j’y suis resté ». Comme on ne savait plus trop quoi faire avec lui (on songea même à l’exiler dans une autre province), on le fit déménager de l’autre côté de la rue. D’où la création de la première petite chapelle, puis beaucoup plus tard de l’Oratoire. Les gens venaient par milliers. Les Pères de Sainte-Croix ont été littéralement submergés par le phénomène. Les gens venaient même des États de la Nouvelle-Angleterre. À sa mort, pas moins d’un million de personnes ont défilé devant son cercueil. Trois jours durant. La légende est demeurée.

Deux firmes de relations publiques à pied d’œuvre

On l’a tellement attendue, cette canonisation, qu’il ne fallait pas rater son coup. La communauté des Pères de Sainte-Croix a embauché deux firmes, Ogilvy et Massy-Forget. On va en faire tout un boucan. Et j’ai lu toute une bêtise. Elle vient de la bouche de Martin Gosselin, le vice-président d’Ogilvy, qui parlant du nouveau saint, et je cite : « C’était Bono sans le glamour et sans l’ego ». N’importe quoi!  Un peu plus et le Frère André aura son étoile sur le Walk of fame à Hollywood. Tant qu’à faire, pourquoi pas Brad Pitt dans le rôle titre d’un film sur sa vie? Je suis sûr qu’il serait accueilli à bras ouverts sur les marches de l’Oratoire.

Et Angelina Jolie en miraculée. Vous voyez d’ici l’ambiance lors de la soirée des Oscars, le beau Brad venant chercher son prix en soutane. Brother André en Blu-ray. Non en 3D. Quand les béquilles tombent avec son dolby, c’est du plus puissant effet. Vous allez imaginer que les béquilles vont tomber vers vous avec vos lunettes spéciales. Tant qu’â faire, comme dirait Elvis Gratton, think big. Après tout, un saint on en a à quelle fréquence? Je suis prêt à vous écrire le scénario en une nuit. Et ce qui est formidable, c’est que notre nouveau super héros était un petit d’entre les petits. Ça, au Québec, on adore!

Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de lametropole.com.