Notre chroniqueur a voulu vivre à sa façon le jour historique de la canonisation du Frère André. Il en rapporte des impressions contrastées.
Avec tout le battage orchestré par nos deux chaînes de télévision principales, il est certain que je n’allais pas rater cette page de l’histoire du Québec, un premier saint bien de chez-nous. Alors, samedi après-midi, je me suis rendu à l’Oratoire Saint-Joseph. Me trouvant sur Queen Mary, je croise un bon frère, membre de la Fraternité sacerdotale, une communauté qui héberge des prêtres de passage à Montréal. Un homme à tout faire dans la communauté, qui fait le ramassage des feuilles mortes, jusqu’à déboucher les toilettes.
Je l’ai connu du temps où, durant cinq années, les weekends, je faisais le portier pour cette communauté. Mais à la différence du Frère André je ne faisais pas de miracle, mais je dérangeais tout comme lui les supérieurs. Lui par ses guérisons, moi par mes propos incendiaires sur l’hypocrisie de l’Église. Faut le faire, au réfectoire. Et justement, croisant ce bon frère, je lui dis : « Vous venez de faire vos dévotions au Frère André? » Et il me répond par l’affirmative. Je lui dis alors : « C’est bien pour une chose, il mérite ce qui lui arrive, et c’est le peuple qui a décidé d’en faire un saint. Et ce qui est dommage, c’est que ce soit l’église catholique qui va récupérer l’affaire, elle qui est tellement hypocrite ».
Lui de hausser les épaules en me disant que peut-être qu’avec
un autre pape… Et il s’éloigna en riant. Deux minutes avant, je voulais savoir
si la Fraternité hébergeait toujours un prêtre (qui n’est pas membre de cette
communauté) et qui a agressé un adolescent au Nouveau-Brunswick. « Oui,
dit-il, mais on ne parle pas de ces choses là  ». C’est ça le problème.
L’église ne veut pas parler de ces choses là . Je poursuis donc mon chemin pour
arriver au pied de la Basilique. J’attends-tu la petite navette ou je monte les
99 marches? J’opte pour la seconde solution. Pas si mal.
DEVANT LE TOMBEAU
Il y a beaucoup de monde à l’Oratoire, mais pas la foule que j’appréhendais. On pouvait circuler assez bien. Ce qui est  particulièrement frappant là -bas, c’est que ce n’est pas du tout la même dynamique gnangnan comme dans les paroisses. D’abord, c’est très cosmopolite. Vous avez des indiens de l’Inde, des japonais avec la caméra qui photographient le cœur du nouveau saint, des slaves. C’est impressionnant, un tel ralliement universel. Et beaucoup d’américains. Puis chez les nôtres, les vieux cathos ne sont pas en majorité. Vous avez toutes les couches d’âges qui sont représentées. Des belles filles, des adolescents, des adultes, des oncles, des tantes, de tout. Des gens qui ne vont même pas à la messe mais qui se déplacent pour leur Frère André.
J’arrive au tombeau. Et là , c’est saisissant. Un silence assourdissant. Comme si un esprit communiquait avec les gens. Les gens s’approchent du sarcophage de granit noir et le touchent en étant très remués. Quand ils se retournent, je peux voir des yeux humides, des visages en larmes. Ils viennent de vivre quelque chose. Ce qui me fait dire que ce qu’ils ont reconnu dans ce petit homme frêle, c’est l’authenticité. Il guérissait, oui, mais avait son petit caractère et ne se gênait pas pour le montrer.
DU CÔTÉ DES DÉMONS
Je venais de voir le beau côté d’une dévotion spontanée, qui ne s’organise pas, même avec les meilleurs moyens de marketing. Imaginez qu’à sa mort, en 1937, c’est un million de personnes qui iront défiler devant son cercueil. Et on n’était pas à l’ère de Facebook. Le Frère André avait un peu plus que 500 amis, des vrais, ceux-là . Maintenant allons faire un petit tour du côté le moins reluisant, c’est la récupération commerciale entreprise à la boutique de l’Oratoire. Le royaume du kitsch. Au moins si les statues reproduisant le saint homme étaient de qualité. À part un buste en plâtre, il n’est même pas ressemblant. Il y a même une statue en pied, de plâtre aussi, tellement laide et que l’on ose vendre 8 000 $… Du travail artistique bâclé.
On trouve de tout à l’effigie de la nouvelle star : des bougies, des médailles, des cendriers, m’a-t-on dit… Nommez le gadget, on l’a. Tu peux payer avec ta carte de crédit. Le Frère André lui-même vendait des objets de piété. Mais c’était pour aider à bâtir son Oratoire, car les Pères de Sainte-Croix n’ont jamais voulu mettre une cenne dans ses œuvres, tellement il les emmerdait. Dans la soirée de ce même samedi, on rediffusa même le film de Jean-Claude Labrecque sur le Frère André. Et on a vu comment ses supérieurs ont tout fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. On voulait même l’exiler dans le fin fond du Nouveau-Brunswick.
Ce sont les manifestations monstres en faveur de l’idole populaire qui a mis un frein à leur sinistre entreprise. Voyez-les maintenant, les actuels supérieurs, se vanter de l’avoir dans leur rang. C’est dégoûtant. Micheline Lachance, la biographe du thaumaturge, a raconté qu’après la mort du Frère, la communauté s’était empressée de mettre en place un autre petit frère pour poursuivre le boulot. En se disant comme pensent souvent les patrons, que personne n’est indispensable. Il n’a pas fait long feu, le pseudo clone. On l’a vite renvoyé laver les corridors. Car ce que le monde admirait sans réserve, c’était le Frère André et rien d’autre.
LA MESSE DE CANONISATION
Après la diffusion du film de Labrecque, il fallait que je m’endorme un peu, car je m’étais entrepris d’être debout à quatre heures du matin pour ne pas manquer la diffusion en direct de la messe de canonisation. Pour réussir à m’endormir, rien de tel que deux Molson Ex bien chaudes. Je ne connais pas meilleur soporifique. Au réveil, frais et dispo, je suis allé faire un tour sur les deux chaînes. D’abord à RDI, avec l’imbuvable animateur Louis Lemieux. C’est le plus mauvais présentateur sur nos ondes. D’abord, il n’écoute jamais ses invités, les coupe tout le temps, fait son gros numéro de gros jars. Pendant que ses invités parlent, il les écoute distraitement, l’œil rivé sur son « lap top ».
D’ailleurs, je soupçonne les cameramen de se payer sa tête en prenant des grands plans qui nous le fait voir qui n’écoute jamais ses invités, préparant sa nouvelle intervention. Il m’écoeure net. Je l’ai connu à la salle de nouvelles de Radio-Canada. Il n’en avait que pour lui. Il a eu son heure de gloire durant les inondations au Saguenay, en étant en ondes quasiment 17 heures du 24. Il jubilait les deux pieds dans la bouette. J’ai écouté plus souvent RDI quand même, en serrant mes draps de rage ne serait-ce que pour entendre son invité, Micheline Lachance qui, en temps que biographe, avait d’innombrables anecdotes à raconter. Elle n’est jamais ennuyeuse. Voilà une femme intelligente.
Puis, j’allais de temps en temps sur LCN. Mais mon dieu, ils ont osé passer des commerciaux durant la messe! C’est bien TVA et l’esprit business. Je suis revenu assez vite à RDI. Entre Louis Lemieux et une réclame de Downy pendant le Gloria in excelsis Deo, mon choix était fait. En plus que le Lemieux, dans sa prétention sans bornes, en a fait une bien bonne. C’est au moment où un monsignore, en début de cérémonie, présente au pape un résumé de la vie des nouveaux saints, au nombre de six. Après avoir présenté une notice abrégée de la vie du Frère André, qui arrivait en deuxième, mon Lemieux nous ramène prestement en studio, sous prétexte que la nomenclature des autres postulants à la sainteté était moins intéressante. Et lui de causer encore avec fatuité.
Non, mais si moi j’étais intéressé à connaître un peu de la vie des autres, après tout? Affreux, le bonhomme. Ce pitre de la télévision sévit encore à RDI. Je me le suis farci l’autre jour, lors de la sortie des mineurs chiliens. Monstrueusement plein de lui-même, s’écoutant parler, une logorrhée de mots. Revenons à la cérémonie. On voyait ces cardinaux, tels des spectres blanchis, les successeurs dans le même esprit de ceux qui faisaient des misères au Frère André. On apercevait le cardinal Ouellet, qui se tenait étrangement tranquille. On comprend; lui, le peuple québécois l’a mis dehors, qui sait reconnaître les authentiques dans la mission évangélique, ceux qui ne jugent pas.
Des princes de l’Église dont on se demande où est le rapport avec Jésus. Et le pape, maintenant. Benoît XVI n’a jamais été le mien. Tout au long de la cérémonie, il avait le regard dans le vide. Comme s’il n’était nullement intéressé par ce qui se passait devant lui. Une job à faire, point. Mon dieu que je m’ennuie de Jean XXIII et de Jean-Paul Ier. Tous deux morts trop tôt. Ça se comprend, la pression est trop forte, quand vous êtes entourés de démons.
Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de lametropole.com
Daniel RollandFRÈRE ANDRÉ
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