APPLEBAUM DANS UNE LOGE DE DESSAU?

L'ex-maire de Montréal, Gérald Tremblay, ignorait tout du stratagème de collusion entre les firmes de génie qui avait cours à Montréal dans les années 2000 et, d'ailleurs, ce n'est même pas lui qui dirigeait la Ville, mais Frank Zampino, le président du comité exécutif, a affirmé mercredi Rosaire Sauriol. Devant la Commission Charbonneau, le vice-président principal de Dessau s'est trouvé à confirmer ce que l'ex-maire a toujours soutenu, à savoir qu'il n'était pas au courant des stratagèmes qui se tramaient dans sa ville.

"M. Tremblay n'était pas dans les projets; il ne suivait pas ça. M. Tremblay avait pris le volet plus diplomatique. M. Tremblay n'était pas au fait de ce qui se passait dans les contrats de la ville. M. Tremblay, il n'était pas dans les dossiers. Je serais très, très, très, très étonné que M. Tremblay ait vu le début du commencement de cette histoire-là de collusion", a lancé M. Sauriol. Selon M. Sauriol, c'est Frank Zampino qui décidait des contrats. M. Zampino était "l'homme le plus puissant de Montréal" dans les faits, a-t-il opiné. "En réalité, ce n'était pas lui (Gérald Tremblay) qui gérait, c'était M. Zampino."

BERNARD TRÉPANIER SE MOQUAIT DU MAIRE TREMBLAY

Le responsable du financement d'Union Montréal, Bernard Trépanier, se moquait même du maire Tremblay, le chef du parti. "Même M. Trépanier ne s'en cachait pas, à des gens comme vous, ou à des Michel Lalonde (président de Génius), il riait de cette situation-là?", lui a demandé Me Denis Gallant, procureur chef adjoint de la commission.

"Exact", a confirmé M. Sauriol. "Il n'était pas très respectueux."

"Vous avez déjà eu des discussions avec M. Trépanier et il vous disait que Gérald Tremblay ne voyait pas grand-chose?" a encore demandé Me Gallant.

"C'est ce que j'ai compris", a répondu M. Sauriol.

Me Gallant s'est ensuite attardé à une longue succession d'invitations d'élus et de fonctionnaires par Dessau dans une loge de hockey, voire à un spectacle des Rolling Stones et de Céline Dion, sans compter des billets de hockey en cadeau.

Entre autres en 2001, il a invité l'actuel maire de Montréal, Michael Applebaum, qui était à l'époque conseiller, dans une loge conjointe que Dessau partageait avec une autre firme.

Le procureur visait ainsi à démontrer sa proximité avec les élus et les décideurs.

Lors d'un point de presse à Montréal pour une annonce dans le dossier du directeur général de la Ville, M. Applebaum a affirmé que "ce n'était pas parce qu'il était allé dans une loge voir un match de hockey au Centre Bell qu'il avait été acheté". Visiblement piqué au vif, il a établi un parallèle avec les journalistes qui reçoivent des billets de spectacle, avant de rappeler qu'un journal montréalais avait invité l'ensemble du comité exécutif municipal dans une loge pour un autre match.

SUR LE YACHT DE TONY

M. Sauriol fait aussi partie du groupe qui s'est rendu aux îles Vierges sur le yacht de Tony Accurso en compagnie de Frank Zampino, à l'époque du contrat des compteurs d'eau, un contrat de 300 millions $. C'est à la suite de ce voyage que M. Zampino a été congédié par le maire Tremblay. En fait, le groupe y est allé à deux occasions, en février 2007 et 2008.

Après son départ de la Ville, M. Zampino a été embauché par Dessau. "Ça a été une des très grandes erreurs qu'on a faites. Ça a eu un impact énorme pour l'entreprise. Monsieur Zampino est entré dans l'entreprise en janvier et on lui a demandé de démissionner au mois d'avril", a-t-il résumé, ajoutant que même les clients de Dessau s'étonnaient que la firme ait embauché M. Zampino.

DONS DES EMPLOYÉS OU

DES DONS DE DESSAU EN CASH ?

Par ailleurs, il a indiqué que les employés de Dessau ont donné plus d'un million de dollars au PLQ et au PQ, de 1998 à 2010. Il a précisé que la somme rapportée au Directeur général des élections de 994 894 $ soit 600 344 $ pour le Parti libéral du Québec et 394 550 $ pour le Parti québécois n'est même pas complète, puisque Dessau a aussi fait appel à des proches de ses employés qui n'apparaissent pas dans ces relevés.

Les contributions se faisaient alors par chèques. Certains employés de Dessau ont été remboursés à même leur compte de dépenses, notamment par du kilométrage gonflé, mais beaucoup l'ont été en argent comptant, a-t-il relaté. "La petite, petite minorité de gens qui ont contribué sans que l'entreprise les rembourse existe, mais c'est une minorité", a avoué M. Sauriol. Il a admis avoir aussi fait du financement au fédéral sous forme d'argent comptant, mais la commission n'a pas posé d'autres questions à ce sujet, puisque cela ne relève pas de son mandat. On n'a donc pas su pour quel parti ou en quelle année.

Au municipal aussi, la firme Dessau a été sollicitée. À Longueuil, par exemple, Dessau a donné 25 000 $ en 1998, une autre fois 25 000 $ en 2001 et une autre fois 25 000 $ ou 30 000 $ en 2005, a raconté M. Sauriol.

DES CADEAUX À L'EX-MAIRE DE LONGUEUIL

"Monsieur Gladu (Claude, ex-maire de Longueuil), vous l'invitez dans la loge de Dessau", a résumé Me Gallant.

DES CADEAUX À L'EX-MAIRE DE BLAINVILLE PIERRE GINGRAS

L'exemple de la Ville de Blainville est éloquent. Dessau y a obtenu des contrats de 2002 à 2006, puis plus aucun contrat par la suite. "Politiquement, on s'est fait sortir de la Ville", a résumé M. Sauriol. Auparavant, quand Dessau y avait des contrats, la firme soutenait l'équipe de Pierre Gingras à Blainville, a-t-il relaté. Quand M. Gingras a été remplacé par un autre candidat, celui-ci a été battu. Une autre équipe municipale avec une autre firme de génie ont dû prendre leur place, a-t-il laissé entendre.

"PLUS HAUT QUE TRÉPANIER"

À Montréal, Dessau a donné bon an mal an 50 000 $ à Bernard Trépanier, le responsable du financement d'Union Montréal. Sa première contribution politique date d'ailleurs de l'ex-maire Pierre Bourque, soit pour le parti Vision Montréal. M. Trépanier lui a bel et bien demandé 200 000 $, en 2005, comme il l'a fait pour les autres grandes firmes de génie-conseil faisant partie du cartel, mais Dessau a refusé de donner une telle somme. Les relevés téléphoniques déposés devant la commission font état de 575 échanges téléphoniques entre MM. Trépanier et Sauriol.

C'est notamment M. Trépanier qui lui a dit qu'il s'arrangeait avec Robert Marcil, l'ancien directeur de la réalisation des travaux à Montréal, pour que les comités de sélection favorisent la bonne firme.

UNION MONTRÉAL UNE MACHINE BIEN ''GRESSER''

"Union Montréal, c'était beaucoup d'activités de financement, c'était une machine qui était énormément structurée pour organiser des activités de financement", a expliqué M. Sauriol.

LES CADEAUX ET INVITATIONS DE LA CORRUPTION ?

M. Sauriol a nié avoir tenté de corrompre des élus ou des fonctionnaires pour obtenir des contrats. À ses yeux, cela faisait partie du développement des affaires et les cadeaux et invitations n'étaient pas de la corruption.

Me Gallant a tenté de le faire élaborer sur ce qu'il a appelé son réseau d'affaires ses liens avec MM. Zampino, Trépanier, Accurso, de Simard-Beaudry, et Paolo Catania, de Construction F. Catania  mais M. Sauriol s'est borné à les décrire comme un réseau d'affaires.

"Vous êtes plus haut que les autres, vous êtes plus haut que M. Trépanier. À l'hôtel de ville, vous en prenez large, M. Sauriol. Quand votre secrétaire et la secrétaire de M. Zampino s'envoient des documents attachés et que vous avez d'avance le discours du maire et le discours du président du comité exécutif et le communiqué de presse, là..." lui a lancé Me Gallant.

Son témoignage se poursuivra jeudi.