Samedi, 9 octobre 2010

SYLVIE LÉONARD EXCELLE

Jacqueline Bouvier-Kennedy-Onassis a été une des premières célébrités de l’âge de la télévision, au début des années 60. À peu près tout le monde sur la planète pourrait la reconnaître sur une image —mais qui peut dire qui elle était vraiment?

 
C’est ce paradoxe qui a captivé Elfriede Jelinek, une dramaturge autrichienne féministe très critique des hommes et du système politique — et, donc, des femmes de politiciens aussi. On reconnaîtrait Jackie entre mille, parce qu’elle avait un look très étudié. Coiffure, tailleurs («qui montrent de la jambe, mais n’insistent pas sur la taille...»), gants, mi-longueur ou courts (qui cachent les ongles qu’elle ronge), carré de soie, collier de perles. Et la célèbre coiffure. Ce look très typé était un bouclier, selon Jelinek.

La stratégie de Jackie consistait essentiellement à se faire rare et mystérieuse, tout en étant partout présente et souriante...

L'ULTIME FEMME-OBJET

Bref, suggère Jelinek, Jackie était l’ultime femme-objet, raffinée, consentante, cynique, même au bras de l’homme le plus puissant du monde, qui la trompe avec Marilyn Monroe, « cette petite idiote qui n’a rien compris ». Une femme calculatrice, narcissique, étudiée, soumise à sa condition de femme, mais pas dupe. Une arriviste au coeur de pierre, qui voit la sentimentalité des autres comme une faiblesse. Une dure, méprisante et possiblement méchante, qui manipule tout le monde en se cachant derrière son image — jouant à être Jackie Kennedy, le rôle de sa vie.

C’est là un rôle casse-cou dont Sylvie Léonard, seule en scène, s’acquitte avec brio, livrant un long monologue qui se déroule dans la tête de cette femme intelligente, coquette et froide, quand elle est seule. Le décor est minimaliste, et la mise en scène très songée. Une rangée de sièges de cuirette, modernes-sixties, et un écran vidéo. Et une collection de magazines pipole dont Jackie fait la couverture. C’est tout. Un cameraman suit Jackie à tout moment, et l’image est projetée sur l’écran — même quand elle est en coulisse, en train de se changer, ce qui est très souvent le cas, vu que l’habit fait la femme — celle-là, du moins.

SENTIMENTS SOUS CONTRÔLE

Sylvie Léonard a développé un ton, un petit accent légèrement maniéré, cynique et snob, et un débit feutré et égal, pour livrer ce monologue d’une femme qui garde ses humeurs et ses sentiments sous contrôle même dans l’intimité de sa pensée — même quand elle est fière, frustrée, jalouse, ou en deuil. C’est une grande performance d’actrice, à la hauteur d’un texte intéressant, mais difficile, qui, joué autrement, aurait facilement pu paraître maniéré, pédant — ou, pire encore, rétroféministe. De visage, Sylvie Léonard ne ressemble pas à Jackie Kennedy — dont les traits étaient plus anguleux et marqués.

Mais Jackie n’était pas un visage ou un corps; elle était une image, justement. La magie des nombreux costumes, des perruques, du maquillage — et de la vidéo en noir et blanc à gros grains — opère : elle est cette grande dame mystérieuse, seule et malheureuse. Jackie est un spectacle que les gens qui s’intéressent au théâtre voudront voir. Sylvie Léonard y joue en finesse, mais avec un aplomb remarquable, un rôle difficile, qui est tout en nuances. Elle est très forte. Mais est-ce que Jackie procure une soirée divertissante au théâtre? Pas vraiment. Ce n’est pas du Paris Match. On y fait plutôt dans le songé...

Jackie de Elfriede Jelinek, mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, costumes de Isabelle Larivière avec Sylvie Léonard, Espace Go jusqu’au 30 octobre.

ESPACE GO
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