JE SUIS MORTE DE TROUILLE!

Une phobie banale peut se transformer en véritable prison. Vous n’avez qu’à songer à l’agoraphobe qui panique dans la foule. Son état devient si envahissant que certains en viennent à se barricader chez eux pour ne plus en sortir. On peut combattre certaines peurs. Quand on est chanceux, on prend le dessus. Certains événements nous aident. Le meilleur exemple est ma mère, qui avait tellement peur du sang qu’elle se changeait en fantôme et s'éclipsait si un enfant se blessait et qu’un saignement apparaissait. Papa devenait responsable du sauvetage. 

Un jour, son employeur obligea maman à suivre un cours de premiers soins. Le formateur leur a suggéré d’imaginer le sang comme un banal liquide rouge avec du colorant. MIRACLE! Comme s’il avait prononcé une formule magique, ma mère s’est transformée. Elle travaille à l’accueil dans une zec. Pendant son chiffre, un membre s’est blessé avec sa scie mécanique. Et le tableau ressemblait à ce qu’on nous montre dans les films. Normalement, elle se serait enfermée pour ne pas voir et surtout, pour éviter de s’évanouir. Au lieu de cela, telle une championne, elle a nettoyé la plaie, confectionné un garrot pour empêcher le sang de se propager, apaisé le malheureux en ayant pris soin de faire venir des secours. À l’hôpital, les infirmiers ont tous voulu savoir qui était la responsable du bandage qui avait sauvé la vie de l’estropié. La peur du sang de ma mère fait partie de ses souvenirs. Dommage que sur moi, ç'a l’effet contraire. 

Par contre, y’a des frayeurs qui pourraient être évitées si nous, en tant qu’adultes, on parvenait à se contrôler en présence de nos tout-petits. Combien de parents paniquent en présence d'une araignée, devant un rongeur, le tonnerre, le vent, un gros barbeau noir? Cette peur se transmet, c’est immanquable. Ma sœur déteste les souris et les araignées. Hélas... c’est la faute de ma mère. Excuse-moi maman, mais tu es une telle source d’inspiration.

Je me souviens un soir où nous travaillions, ma sœur et moi – on pratique le même métier. Alors qu’elle teignait de la peinture, une audacieuse frimousse à moustache a traversé le commerce en escaladant un pied, celui de ma sœur, qui a rebondi si haut qu’elle n’a même pas effleuré les 6 premières marches. Avec un client j’ai éclaté de rire, mais elle, elle n’avait pas le cœur à rire. Au contraire. Elle tremblait. La peur donne des sueurs froides, des palpitations, la chair de poule, le cerveau se déconnecte de la réalité pour entrer dans une phase de folie passagère. On perd la carte.  

J’avoue avoir été l’instigatrice d’une frousse telle que je m’en suis voulu pendant longtemps. Par plaisir, j’aimais surprendre ma fille et lui faire faire des sauts. Je me cachais et j’arrivais en faisant des : bouh! Ma puce détestait, mais c’était plus fort que moi. En plus, ma cocotte a d’autres peurs, mais sa pire, ce sont les sangsues.

Photo : McZany Photography

J’étais allée visiter ma nièce à son chalet. À l’époque, Calie devait avoir 12 ou 13 ans. Ma puce adorait l’eau. Elle s’amusait à courir dans le lac lorsque je lui fis remarquer que ce dernier abritait des sangsues. En un instant, elle décolla vers le rivage en abandonnant ses sandales derrière. Jusque-là, vous vous dites que je n’ai rien fait de grave. Ça s’en vient. Le conjoint de ma nièce propose à un ami et à ma cocotte, une ballade sur l'eau. Le pédalo s’active. La température est idéale, la surface est limpide, c'est un pur délice de les voir se promener en bavardant. Des échos de leurs rires parviennent à nos oreilles et le rire cristallin de ma fille fait plaisir à entendre. 

Soudain, je remarque trois branches noires de forme et de longueur d’une suceuse de sang. Quand le trio revient de son escapade, l’ami de mon neveu a l’ingénieuse idée de sauter en bas de l’embarcation et d'éclabousser ses comparses un peu avant qu’ils n’atteignent les berges. Comme par hasard, de véritables créatures qui ondulent atterrissent dans le fond du pédalo. Ma fille les remarque. Moment de panique. Elle saute sur le quai et moi, insouciante, j’ajoute à sa terreur en mettant la main parmi les bestioles, faignants en attraper, et je lui lance mes imitations de sangsues. Ma fille hurle, se débat, en un instant retire sa camisole; tant pis pour sa vertu. Je constate mon erreur et je tente de l’apaiser en lui disant qu’il s’agit de branches! OUF!!!!!!!! L’orage de larmes. Ça a demandé tout mon change pour la calmer. Mes excuses n’ont pas eu grand effet. Aujourd’hui, elle m’en parle encore. Depuis, je ne lui ai plus jamais joué de tour. Je me suis tellement trouvée irresponsable.

Comme tout le monde, j’ai des peurs. La pire: les endroits fermés, sombres où on se sent prisonnier et où on ne peut reculer. Je crois que ça vient d’une expérience de mon adolescence et aussi de mon père, qui traîne cette phobie depuis toujours. Il m’en a souvent parlé; sans doute, il me l’a transmise. 

Près de chez moi, il y avait les fondations d’une usine abandonnée. Les jeunes aimaient s'y retrouver pour jaser, pour faire leurs braves, pour impressionner les filles. Par une belle journée ensoleillée, un membre de la gang décide que je devais les accompagner dans les tunnels. Je refuse. Me promener dans un environnement presque d’un noir de jais sans voir où je pose les mains et surtout d’où je ne peux sortir à volonté ne m’enchante pas. On a tenté de m’y pousser de force. Je me suis débattue, j’ai griffé, hurlé, et quand finalement on m’a lâchée, j’ai vomi comme une malade. Mes amis regrettaient leur geste. Ils ne pensaient pas mal faire. Ils voulaient s’amuser et me sachant téméraire, je les suivais dans n’importe quelle situation, ils croyaient que le plan, ou plutôt le défi, m'allumerait. 

Hauteur, vitesse, même les insectes ne me dérangent pas. Cette fois, ils venaient de découvrir mon talon d’Achille. Encore aujourd’hui, juste à écouter un film qui se déroule dans des grottes avec des personnages contraints de passer dans des orifices exigus, mon cœur s’emballe, je manque d’air, je fais un transfert. Je vis l’expérience comme si j’y étais. C’est pathétique! Rien à faire, je ne me contrôle pas.

Ne riez pas des peurs des autres. Soyez conciliants et surtout, mettez-vous à leur place. Si possible, modérez-vous devant vos enfants pour ne pas leur transmettre ce qui vous terrifie. Dédramatisez si cela vous est possible. Avant, ma fille craignait les vents violents, les éclairs, les grosses tempêtes. Elle avait écouté le magicien d'Oz. Je me suis amusée à imaginer des situations cocasses avec elle et cela semble avoir porté fruit. Aujourd’hui, elle aime regarder les éclairs les soirs de canicules. Elle les trouve fascinants. Elle a compris que le vent ne peut pas lui faire de mal si elle est à l’abri. Cette peur est devenue un léger inconfort. Elle ne la domine plus. Un gros progrès.

Les peurs sont des armes puissantes pour amoindrir nos facultés. En prenant du recul avec de profondes respirations, on arrivera peut-être à leur retirer le pouvoir de nous contrôler. Pour certains, c’est faisable. Pour les autres… armez-vous de courage!

SI VOUS AVEZ DES THÈMES SUR LESQUELS VOUS SOUHAITEZ VOUS EXPRIMER, AUTRES QUE CELUI D'AUJOURD'HUI, N'HÉSITEZ PAS.

LOLITA LEBLANC