Le film a triomphé aux Jutra dimanche dernier, sélection officielle à Cannes, remarqué à Toronto et, bien sûr, une nomination pour le meilleur film étranger aux Oscars. Pour ceux qui ne connaissent pas déjà le récit, il s'agit en somme d'un immigrant franco-algérien, Bashir Lazhar, qui devient le substitut d'une enseignante de sixième année. Cet homme, tendre et patient, en plus d'avoir à gérer son propre karma, cache son manque de qualifications officielles comme pédagogue reconnu.

Cependant, il « est » un vrai enseignant. Tel que je le partage avec vous depuis des années en conférence ou dans mes chroniques, « il fait ce qu'il est » (voir ma chronique «Fais ce que tu es» sur la page Archives de marcandremorel.com.  Non seulement les résultats scolaires de tous les élèves sont supérieurs, mais il les ouvre sur un monde nouveau. Il les touche, il les inspire. Il saura avoir un impact positif sur ces adultes en devenir, surtout avec le personnage d'Alice. Et Dieu sait ce que cette « rencontre » aura sur eux des années plus tard.

Avez-vous déjà eu un monsieur - ou une madame Lazhar - dans votre enfance? Un enseignant? Un coach? Un prof de natation? Eh bien c'est avec grand bonheur que je souhaite dédier ce texte à toutes ces âmes qui sont venues sur notre chemin nous guider, nous inspirer, avec amour. Qu'il s'agisse d'amortir notre chute, d'élever nos consciences, d’élargir nos horizons ou de nous retirer nos béquilles, ces anges n'auront jamais fini de m'émerveiller, voire même de me bouleverser.

Et c'est justement ce que ce film m'a rappelé : mon monsieur Lazhar à moi. Tout au long de la projection, je n'arrivais pas y croire. Les parallèles étaient frappants avec monsieur Girard. Philippe Girard fut mon premier enseignant, lorsque je suis devenu pensionnaire à l'Académie Michèle Provost, au pied du Mont-Royal à Montréal. Suite au divorce de mes parents, ma sœur et moi sommes entrés dans une école privée qui fonctionnait avec le système français. En troisième année seulement - à huit ans - je me faisais appeler « Monsieur Morel », imaginez! À chaque coup je retournais la tête, puisque je croyais qu'ils parlaient à mon père et qu'il était venu me sortir de là...

Pendant les premières semaines suivant mon arrivée, monsieur Girard m'a installé dans un coin au fond de la classe pour que je pratique les lettres attachées - que les élèves de cette école utilisaient depuis la première année. Je devais être en deuxième mais on m'a fait sauter. Alors ce n'était pas certain que je reste. Non seulement je n'avais pas envie de vivre cette adaptation douloureuse une fois de plus, mais monsieur Girard était tellement gentil, attentionné, doux avec moi, que je voulais à tout prix rester avec lui. Eh bien, j'ai donné tout ce que j'avais et je suis même devenu le premier de classe.

Tout ce que je n'avais pas à la maison, je le retrouvais avec lui. Et il avait cette intelligence émotionnelle et cet instinct pour sentir que j'avais besoin de cette forme de protection à cette époque. Comme avec d'autres, il m'a pris sous son aile, il m'a donné confiance en moi, il a embelli ce passage obligé et a changé ma vie. Avec son vécu d'ancien pilote dans l'armée française pendant le conflit algérien, sa froque de cuir brune usée et ses Gitanes sans filtre qu'il fumait, monsieur Girard transpirait une virilité de rock star alliée à une force tranquille, contrastée à une tendresse et une gentillesse sans égales.

Il inspirait le calme et le respect, tout en incitant sans mots au dépassement de soi. Encore aujourd'hui, je pense à lui et je cherche depuis des années à le retrouver. Il a apparemment terminé sa carrière dans la GRC et j'ai même contacté mes amis qui y travaillent. Encore aujourd'hui, près de quarante ans plus tard, j'ai envie de bien faire dans ma vie, afin d'éviter qu'il ne soit déçu de moi. Incroyable, non?

Mais le thème de cette semaine m'amène à nous rappeler que nous avons tous un devoir de mémoire et de reconnaissance envers ces personnes d'exception. Mais que nous sommes aussi le « monsieur Girard » de quelqu'un. Ce n'est jamais écrit sur le front de l'enfant que nous toucherons profondément. Pas plus qu'il y aura une cérémonie pour vous accueillir sur scène au son de vibrants applaudissements afin de recevoir un prix pour avoir inspiré une personne et avoir servi son destin. Raison de plus pour demeurer vigilent et « présent » en tous temps.

Vous êtes monsieur ou madame Girard. Vous avez fait et faites la différence dans la vie de plusieurs personnes. Pas besoin de savoir qui. C'est gratuit et c'est tout ce qu'il nous reste en fin de compte. Tout ce que l'on a donné, tout ce que l'on a donné de soi. Que vous le vouliez ou non, vous êtes le modèle de quelqu'un.

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