CLIVAGE SCOLAIRE

 

Il y a au moins la motivation d’être dépassé et surpassé en tant que parents par nos enfants. Dans la majorité des cas, nous souhaitons leur offrir le meilleur des mondes. Pour y arriver, cela doit commencer tôt, très tôt. Prêt pas prêt, l’enfant doit couper le cordon, plonger dans la boite sociale qu’est le système scolaire. Pas le temps de niaiser. Au lieu de l’aider à faire pousser ses ailes, le milieu l’aidera à se fabriquer une carapace. La boite possède une dimension standard à l’échelle planétaire, qui permet d’accueillir le plus de jeunes possibles dans un confort à peu près tolérable.

Chaque étape scolaire, chaque niveau a sa boite attitrée. Une boite pour la maternelle, une pour la première année du primaire, une autre pour la deuxième et ainsi de suite. Calquées sur le modèle de la poupée gigogne, elles doivent toutes s’emboiter parfaitement. La dernière étant le marché du travail.
 
Afin de rendre ce cartonnage facile, il importe que rien n’entrave l’imbrication de la plus petite à la plus grande. Pas de déchirure, pas de trou, pas de bosse. Et rarement une boite manquera. Ça ferait du lousse dans l’échafaudage. Bien important de ne respecter qu’une seule dimension de boite, qui s’applique au niveau concerné. La suite n’est qu’un jeu d’enfant. Ce jeu consiste à couper, brûler, arracher, écraser, enlever, soustraire, atrophier tout ce qui dépasserait de ce fameux enclos. Une opération chirurgicale, une chimiothérapie en quelque sorte. Le but étant d’uniformiser le corps et la pensée. 



Nonobstant les intérêts personnels de chacun, le groupe d’âge sera la norme. On se fout que l’enfant s’emmerde royalement, qu’il perde son temps avec des activités et des matières qui ne le rejoignent nullement, il faut se plier à une psychologie de masse. Peu de contacts avec les moins âgés ou les plus âgés, toujours, d’année en année, avec le même groupe d’acolytes qui se suivent, qui rient des plus jeunes et craignent les plus vieux.
 
Les liens se tissent principalement entre les membres du même troupeau. Les écoles scindent leur cour avec d’un côté les secondaires 1 à 3 et de l’autre, les secondaires 4-5, avec interdiction de fréquenter les élèves ne correspondant pas à son propre statut. Bonjour les échanges. Au primaire, même constat malsain; les récréations, les diners en deux parties. Les plus jeunes en premier, les autres, plus tard. Heille, ça pourrait être dangereux, des jeunes d’âge différent, qui commenceraient à fraterniser ensemble! T’à coup que l’ordre établi prendrait l’bord? Le travail à la chaine de l’usine de boites serait compromis, serait voué à la fermeture?


 
Le système scolaire valorisé comme la panacée à l’ignorance, le summum de la connaissance, du bonheur, de la prospérité! Néanmoins, à y regarder de plus près, il insulte l’intelligence humaine, réduit les capacités créatrices, favorise l’intimidation, la compétition, le harcèlement, l’obéissance et la soumission à autrui, au détriment de son âme et conscience, incite à l’exclusion de la différence, au sexisme, à la fragilité des relations, au mensonge pour plaire, à la tricherie pour l’acceptation, au scientisme ad nauseam. Pure folie.

De supposés experts de toutes sortes en relations humaines, qui coûtent des milliards de dollars, des réformes bidons, des milliers d’études, afin d’offrir un environnement propice à l’apprentissage? En bout de ligne, qu’obtient-on? Un chaos total. Du décrochage constant. Absence d'intérêt pour la lecture, la recherche. Des zombies du Ritalin.


 
Aucun bon sens, quand il est temps d’organiser un horaire de cours. Des matières légères le matin, alors que le mental est bien reposé et est à son meilleur pour saisir. Celles qui demandent concentration, offertes après le diner, lourdeur sur lourdeur. Comment trouver l’énergie? Les matières se suivent pêle-mêle, sans corrélation entre elles, 4-5 différentes dans une journée. Il y a confusion des termes. Ce n’est pas d’éducation dont il s’agit, mais bien de scolarisation.

Des profs anticipent aussi le son de la cloche pour une pause bien méritée. Dans cet empressement, lesquels prennent le temps de revenir sur les sujets traités durant le cours? Lesquels font une synthèse, concluent et mettent en rapport ce qui a été vu pendant le cours précédent, et ce qui sera évoqué au suivant? On s’étonne que nos p’tits bouts de chou d’amour prennent le relais de l’alcoolisme, de la drogue, du suicide. Sont morts sur des chaises, en rang d’oignon, vampirisés de la tête, tétanisés de la chair. Pour toutes les exceptions d’enfants qui apprécient ce milieu, un nombre supérieur s’éteint dans leur être. Notre temps à nous est précieux. Pourquoi le consacrer à l’éducation des nôtres à la maison, en communauté?



Papa-État s’en charge très bien, sous prétexte fallacieux de gratuité scolaire. Les bibliothèques sont encore accessibles "gratuitement", néanmoins vides. Les livres perdent leur odeur de ne plus être reniflés. Ils flétrissent de l’absence d’être touchés. Ils s’assèchent du manque d’humidité de nos réactions. Il était urgent que des inconnus décident pour nous ce qui est bien pour les enfants, soit un groupuscule dont on ignore les vues d’ensemble, mais dont nous acceptons béatement les recommandations: commission scolaire, ministère de l’Éducation, sous l’égide de l’U.N.E.S.C.O. Une hiérarchie de dogmes.
 
Une intelligence artificielle, une composition de personnalités fausses. Exit le papier et le crayon. N’en fallait pas plus pour introduire le iPad comme fourniture scolaire obligatoire à des moins de 10 ans. La nocivité des micro-ondes à plein temps. Troubles des yeux à portée de clavier. Quand technologie et "éducation" signifient pour certaines personnes une évolution sociale et moderne, il est évident que ce qui reste d’humanité court à sa perte. Perte de mémoire, perte d’autonomie, perte de responsabilité, perte d’acuité.



Le temps partiel avec enfants est la norme approuvée. Le travail, lui, peut jouir du temps plein. Nés et conçus dans un système favorisant la scolarisation plutôt que l’éducation, nous marchons dans les mêmes pas de la déresponsabilisation personnelle, en chantant les louanges de liberté d’un régime la réprimant. Fragmentés, morcelés par de nombreuses années de gavage, nous ne sommes pas en mesure de déceler nos propres incohérences. L’usine à boite ronronne. Notre entêtement la flatte.
 
Mes ados ont décidé de poursuivre leur cheminement scolaire, malgré leur connaissance des faits. Les ami.e.s avant tout. On a cru que seul le milieu scolaire offrait un cadre amical, qu’en dehors de cette « vraie vie » personne  ne serait disponible pour l’amitié. En ce sens, les grands-parents sont stationnés dans des maisons de retraites, tous dans la même tranche d’âge. Les parents sont au boulot, besoin de faire beaucoup d’argent pour subvenir aux besoins, et pour l’investir dans le divertissement. Ça libère des tensions familiales.

Les étudiant.e.s ayant peu de contacts avec leurs proches, les échanges d’expériences, historiques, personnelles et vivantes sont exclues de leur vie. J’entends et comprends le déchirement des parents lors des premières semaines d’école pour les tout petits. Ça fait mal d’aller à « contre cœur ». Ils ne sont pas dupes, ces parents. Ils savent très bien que le système est mal foutu.


 
Or, nous avons choisi (je m’inclus) de les sacrifier dans le système, sur notre autel de la désinvolture, eux, au lieu de nous, avec notre temps disponible. Nos devoirs bâclés. Devoirs (et obligations), concept juridique qui fait office de loi, de réprimande là où l’on dit enseigner la liberté de penser, la liberté d’expression… qui se doit d’être une idéologie commune sans quoi la stigmatisation, l’exclusion du groupe devient la note de passage vers un monde sans Salut. Sommes-nous sur cette terre uniquement pour étudier, travailler, souffrir et mourir? Aucunement. Entendez-vous l'autre son de cloche qui retentit, celui qui somme de corriger l'enrôlement?

Remerciements à Anne Mergault, remise en texte. À Annie Tremblay, directrice Web, correction, images.

ÉDITIONS 180 DEGRÉS

SURVIE DE L’ESPÈCE. INCONSCIENCE.