LA PUBLICITÉ, PLUS PUTE QU'UNE PUTE

 

En général, parce que nous sommes payés, que le travail que nous faisons est moralement acceptable par la communauté, de facto nous excluons l’hypothèse que nous en sommes esclaves. En y ajoutant les facteurs de plaisir, de créativité, d’indépendance relative, nous pouvons justifier que telle n’est pas notre situation. Alors, à quel moment advient-elle, cette situation? Quand nous perdons autonomie, liberté, satisfaction. C’est dire que tout le monde, un jour ou l’autre, a accepté de se prostituer. 

Pour le client, la prostitution est un métier respectable parce qu’il considère que l’échange est juste. Dit autrement, il paie pour un service équitable en rapport avec la valeur économique de ce type de commerce. Il accepte le prix demandé pour le service obtenu. Les deux protagonistes en arrivent à un accord commun entre l’offre et la demande. De ce point de vue la prostitution livre la marchandise, telle que stipulée par sa pratique. Les prostitué.e.s ne peuvent donc vendre autre chose que leur corps ou une partie de celui-ci. Il leur est toujours possible de feindre la jouissance ou l’orgasme sans pour autant que le client perde accès à leur corps, qu’ils ont payé en argent sonnant. Impossible donc de soustraire son corps de prostitué.e au sexe pour lequel un certain montant d’argent à été déboursé. Dans une circonstance contraire il s’agirait d’un bris de contrat, le client serait en droit de demander un remboursement.



À vrai dire, j’ai une certaine considération pour ces personnes de boulot contesté, en ce sens qu’une fois nues et en pleine activité elles ne peuvent pas faire semblant de ne pas être prostituées, même en l’adoptant à temps partiel ou à courte échéance. Ça ne les cantonne pas uniquement à être cela, particulièrement si elles sont dans les études ou ont un autre boulot. Cependant, ce type de prostitution est clair et honnête dans sa démarche. Il ne propose pas un bien matériel comme produit de fabrication. Plaisir, jouissance, orgasme se consomment sur place et ne s’apportent pas avec soi une fois qu’ils ont été « atteints ». Le client ne quitte pas l’endroit en continuant de jouir ou en plein orgasme jusqu’au retour chez lui. Ce qui me fait ajouter que la prostitution pour du sexe ne porte pas l’hypocrisie que d’autres personnes manifestent en se vendant autrement que pour de la sexualité.

Je fais référence ici à l’insupportable industrie de la pub, plus sournoise et perfide que l’industrie du sexe. Quand il est fait mention que tout le monde peut être achetable, il n’y a pas mieux placé qu’elle pour en faire la démonstration. À ce compte-là, les gens sont prêts à n’importe quelle imbécillité, à se rendre ridicules, à jouer les putes qui cautionnent la déresponsabilisation, le racisme, le sexisme, infantilisent, nivellent par le bas. Comédiens, ils trompent l’auditoire en vantant le mérite des produits qu’ils présentent. Souvent, ils ne croient pas en ce qu’ils disent mais parce qu’il y a un chèque qui les attend, ils y mettent toute la gomme. Ça pue à plein nez. Accepter de se renier soi pour présenter des produits de consommation comme étant les meilleurs dans une pub et la fois suivante présenter un produit différent en insistant autant sur ses mérites. Quelle crédibilité, oui, quelle crédi-débilité.



La pub et ses putains. Je trouve dommage d’utiliser le mot pute pour représenter ce que sont ces péripatéticiens du marketing agressant. J’ai plus d’égard et d’estime pour l’industrie du sexe et ne sait quel mot employer pour définir les faux-culs de l’autre domaine. Marre d’être constamment agressé dès que j’ouvre une page, un film, un documentaire, une série sur l’ordinateur, que je m’installe au cinéma. Invasion, impérialisme des médias, télévisions (que je n’ai pas), journaux (que je ne lis pas), radio (que j’écoute rarement), protectionnisme, privilège, exclusivité des monopoles. Partout où je vais, l’industrie m’écoeure, me fait la morale, m’incite, me sollicite, me rend coupable, me diminue, me crée de faux besoins, m’exaspère, tout ça grâce à ces putes, à ces tricheurs de conscience. Ils sont de notre famille, de nos ami.e.s, collègues, voisins. Et parce qu’ils font partie de nous, de notre connaissance, nous leur donnons l’absolution en félicitations.

Chacun trouve raisonnable de faire ce qu’il fait tant que le salaire convient, tant qu’il se sent suffisamment reconnu et un tant soit peu apprécié. Nous voulons tous payer nos factures et avoir un surplus de confort. Beaucoup trop de gens continuent de se résigner à se tromper eux-mêmes afin de ne pas déplaire au Dieu «cash». Ils ne veulent pas perdre sa bienveillance. Ça explique la soumission à celui-ci en exerçant des métiers qui font souffrir et mourir nos semblables. Une des formes publicitaires des plus insidieuses se rapporte à tous ces mouvements qui revendiquent des droits pour les femmes, les animaux, l’environnement.



Planifiés et orchestrés par des «think that», ils réussissent à nous faire acheter non plus des produits mais des idéologies devenant elles-mêmes des objets de consommation. À tel point que leur efficacité sur notre psychologie nous conduit à croire que cela part d’initiatives de citoyens bien intentionnés. Gare à ceux qui ne voguent pas dans le sens de la majorité hypnotisée, on les condamne à de l’aveuglement ou à de la mauvaise foi ou pire, on sort désormais la très proverbiale sentence de la conspiration ou du complot pour clore la discussion.

La publicité est un poison inodore, incolore, insipide paradoxalement puissant, dévastateur. Elle ne serait rien sans le concours des personnes qui se vendent aux multinationales. Il n’y a pas de noble prostitution. Néanmoins, celles dont on nous affuble de légale, avec la permission des gouvernements, font la preuve que le proxénétisme n’est pas qu’aux mains de cette industrie. Sur ce, je dois vous quitter. Mon agent m’a donné rendez-vous pour un casting avec une colossale compagnie de condoms.

ÉDITIONS 180 DEGRÉS

OBSOLESCENCE HUMANITAIRE