LE COEUR SUR LA MAIN

 

Nous savons que le cristallin de l’œil inverse les images qu’il reçoit. Notre perception n’est donc qu’une apparence, projetée et reçue comme une réalité différente de celle du départ. Nous transformons une réalité en une autre. Vous allez me dire qu’en fait ce n’est que de l’anatomie et que nous n’y pouvons rien. Jusqu’à un certain point, ce n’est pas faux. En effet, ce modèle de l’effet miroir, d’inverser des réalités pour les ajuster à des modes de vie, est devenu pratique courante depuis longtemps.

Le phénomène le plus crucial aura certainement été la religion, prônant l’invention d’un être supérieur à soi. Autrement dit, partir de l’extérieur de soi et remettre le pouvoir de vie à une hiérarchie quelconque et dont la base, au plus bas et minable niveau de l’échelle, serait les z’humains. Ce schéma s’applique à toutes formes de soumission, exigées par les organisations pyramidales de tout acabit.
 
La spiritualité, ce nouvel âgisme, n’échappe pas à cette inclination. Au contraire. Elle continue de pervertir l’ordre des choses, tout juste si elle ne dit pas qu’après l’été vient le printemps. La spiritualité se déclare spirituelle dans certaines circonstances seulement. Elle usurpe la première position du changement dans notre quotidien. En d’autres termes, elle avance que pour vivre un mieux être, il faut apprendre à la développer. C’est là sa plus grande manigance, l’arnaque des siècles et des siècles (Pas de amen). Comment cela se peut-il?



La religion, pour ne pas perdre la main mise sur ses moutons, a réussi à faire condamner  psychologiquement et physiquement tout ce qui pouvait remettre sa prédominance en question. Ce qui relevait de l’ésotérisme, de la métaphysique, ne pouvait être que l’œuvre d’une force maléfique opposée à la sienne : le diable (mot qui, soit dit en passant, a pour étymologie, division, séparation), ce qui cadre parfaitement avec le terme de conscience, dans le sens de ressentir (discerner/dissocier)) ce qui est soi de ce qui ne l’est pas. Séparation de soi avec soi-même, donc. Voyant que la religion perdait de sa propre laine, la spiritualité, ce nouvel âge sauveur des âmes perdues, en a profité pour prendre la relève.
 
Où se trouve donc l’inversion dans tout cela? Elle se trouve dans le mensonge qu’il nous faut spiritualiser les êtres que nous sommes. Selon ce point de vue, nous vivrions encore dans la culpabilité de l’imperfection et la clé pour en sortir serait cette nouvelle lumière au bout du tunnel, que nous vendent les marchands du temple de la renommée. Je souhaiterais bien savoir sur quelle comparaison s’appuie-t-on  pour nous qualifier d’imparfaits.  Imparfaits par rapport à qui, à quoi? À des idéaux, des fantasmes? On s’attèle à nous fait croire à une multitude d’inepties, d’images inversées, déformées, comme étant la vérité.

Remettons les choses à l’endroit. En partant du principe que tout ce qui vit, tout ce qui Est, est de tout temps spirituel, toute la marchandisation de la spiritualité s’effondre instantanément. Nous sommes  fondamentalement spirituels. Rien ne l’est pas. Nous sommes « ouverts » à manifester cet état dès notre naissance. Or, ce qui se passe est l’inverse de ce que nous sommes : nous matérialisons nos vies, les rendons rigides, fermées, à grand renfort de culture, d’éducation, de  peurs, de traditions et de règles. Nous en venons à condenser nos énergies dans des nœuds qui limitent notre fréquence vibratoire au même taux et s’ensuivent ainsi les malaises, les maladies, la souffrance, les douleurs.


 
Tout est déjà spirituel. Nous n’avons pas à le devenir, mais bien à retrouver cet état, en enlevant toutes nos couches d’illusions, ces boues qui nous collent à la pensée. D’ailleurs, l’une des images favorites qu’emprunte la spiritualité pour nous montrer à quel point nous sommes dans une bulle malsaine, c’est la psalmodie de l’ouverture du cœur. Se servir du cœur comme analogie évolutive, c’est ti pas beau ça? Le cœur ne s’ouvre pas, n’a pas de raisons que la raison ignore, ne se brise pas, pas plus qu’il n’a d’yeux. Une belle confusion des termes, lorsqu’il est question du cœur. Font-ils allusion au Sacré Cœur, hypocritement?

En fait, la plupart des gens confondent cœur et corps émotionnel. L’être humain ayant plusieurs corps d’une densité qui diffère l’un de l’autre ; physique, émotionnel ou vital, mental, éthérique, astral… À part battre et débattre, le cœur reste muet. Le corps émotionnel  est le corps des désirs (possession, avoir, attaches, attentes). Le corps mental, lui, organise, planifie, gère, déforme. En fonction de ce que l’on souhaite, rêve, espère voir arriver ou non, les émotions vibrent en expansion/ouverture ou en contraction /fermeture.  Et ce sont les montagnes russes en permanence qui gagnent.
 
L’ouverture à soi, aux autres, tant invoquée par le spirituellement correct, n’est malheureusement pas (ou heureusement pas) un acte de volonté. La volonté dans cet ordre d’idée serait plutôt une astuce du mental pour se donner bonne conscience, l’ego spirituel se jouant de nous pour ne pas perdre sa face de sage. Se dire ouvert, mentalement, ne désigne pas être ouvert réellement. Beaucoup trop de gens ne s’ouvrent qu’à ce qui leur convient. C’est donc une fausse ouverture.  Filtrer, c’est vouloir une assurance, un contrôle. Alors, quand je suis fatigué, épuisé, que je souffre, c’est le moment de larguer les "y en a marre", sans savoir ce qui va arriver.



L’ouverture est un acte d’acceptation, d’accueil total de tout ce que nous vivons, que ce soit ressenti comme une épreuve ou un succès. Le corps émotionnel n’a pas à prendre le dessus d’un côté ou de l’autre et mener notre vie. Le ressentimètre nous indique seulement quelle place nous offrons à l’emprise qu’ont nos émotions sur nous-mêmes. L’autre terrible conséquence sur cette présupposée ouverture du cœur, c’est sa prétendue association avec l’amour. De vieilles traditions récupérées par la spiritualité, remixées pour les brebis égarées, délaissées par la religion et regroupées à nouveau vers de nobles idéaux, athées et scientistes mélangés.
 
L’amour, de près ou de loin, ne concerne pas le cœur. L’attachement à quelqu’un ou quelque chose nous fait palpiter, nous donne des raisons de vivre. Parce que les émotions affluent, nous les transposons en sentiments appelés amour.  Remarquons comment cet « amour » est à sens unique, puisque seules les personnes qui nous aiment sont aimées, tout comme les situations non confrontantes. Le mental se ment à lui-même en se disant ouvert, alors qu’il est à la fois sélectif, tendancieux et égoïste. Comment alors l’ouverture se présente-t-elle, s’il ne s’agit pas d’un acte de volonté? Ou plus précisément, comment pourrait-elle avoir lieu, s’il n’y a pas d’espace pour qu’elle se fasse? Si ce n’est pas en s’attachant ou en possédant des êtres ou des choses que la paix s’installe, c’est forcément qu’il faille faire le contraire, augmenter la place en soi.
 
Depuis notre jeunesse que nous sommes gavés d’inepties, de valeurs, de morale à la va comme je te dis. À force d’en rajouter, le tout s’empile, se fige, ne bouge plus, la pièce est pleine et décourageante à vider. C’est donc en guérissant nos peurs que se créée l’ouverture: chaque peur qui disparaît rend en effet léger, élève notre taux vibratoire, ainsi il n’est nullement question d’ajouter quoique ce soit en nous. Une peur qui n’est plus ne prend plus d’espace et ne siphonne plus notre énergie en tentant de la combattre. En se sentant allégés de la sorte, nous ressentons cette « ouverture » d’être de plus en plus près de soi, un espace qui libère et permet une plus grande circulation, de soi à soi.



Nous n’avons pas besoin de nous leurrer avec des formules de creuse-ta-cervelle-pour-être-une-bonne-personne-afin-de-passer-pour-un-être-évolué-aux-yeux-des-autres. Nous ne pouvons pas demander aux autres d’être ouverts au mariage gai, à l’homosexualité, aux végans, aux carnivores… S’il y a « fermeture », ça ne concerne que les peurs de perdre quelqu’un ou quelque chose, qui de toute façon ne nous appartiennent pas. Par contre, des personnes culpabilisent les autres en les taxant de résistants, de rétrogrades aux changements. Déjà, le fait de culpabiliser ne serait-il pas une sérieuse indication sur ses propres peurs et peut-être, sur le manque d’ouverture?

ÉDITIONS 180 DEGRÉS

FAIS-MOI MAL OU JE TE QUITTE...