Nous vantons d’un côté l’ouverture de l’esprit face aux changements que le quotidien nous présente et de l’autre nous nous protégeons de ce qu'ils pourraient changer notre vie. Barricadée derrière des centaines de dollars en assurance de toutes sortes, au cas où, la supposée vulnérabilité qu’implique l’ouverture à ce qui est, congestionne plus qu’elle ne laisse passer. Faut dire que se protéger, envers et contre tout, fait miroiter un sentiment de contrôle, de maîtrise et de planification bien réfléchis alors que l’ouverture tendrait à susciter un sentiment de faiblesse et d’infériorité.

La pénétration, le pénétrant, infériorisent donc l’ouverture et la considèrent comme un défaut, une lâcheté.
 
Les plus peureux ont poussé l’odieux jusqu’à inventer le sexe faible et y donner un genre, féminin. Pour l’homme, pénétrer le monde avec son organe ou sa pensée, c’est le posséder. Il se sert de l’un et de l’autre comme une lampe torche pour avancer dans la noirceur de ses peurs et aveugler les plus récalcitrant.e.s.  Le pénétrant fonce, bien qu’il tremble de ne pouvoir être à la hauteur. Quand il ne voit pas l’ouverture, il y met un peu plus de lumière. Quand il peine à entrer, il force la porte, se braque, décharge son fiel et repart, comme un don.



Rien de moins sûr. Préférant l‘orgueil à la face perdue, sa victoire est amère. Toutefois, une vie peut aussi se construire par amertume et être appréhensée au travers du filtre de craintes latentes et non conscientes, dans l'idée trompeuse que le plaisir se trouve dans ces attitudes de domination, d’absence de respect, d’oppression.
 
Apparaît une contradiction évidente. Pour être pénétré, il faut être ouvert. Comment alors peut-on parler de faiblesse? Est-ce qu’une prise électrique au mur est plus faible que la fiche qui la pénètre? Y a-t-il combat entre elles pour que cela se fasse? Bien sûr que ça exige compatibilité dans les formes, pour que le courant passe. Au-delà de cet aspect, il est déplorable de considérer que l’accueil dénote une faiblesse.

Dans une sexualité hétérosexuelle consentante, ce sont les femmes qui acceptent d’être pénétrées. Elles invitent, si cela leur dit. Comment, à ce moment précis, un homme pourrait-il la considérer faible? Au contraire, s’ouvrir à l’autre demande de lâcher tout contrôle, de se laisser porter par le rythme de la danse qui s’établit. Et l’homme qui pénètre accepte également de suivre le rythme, d’être à l’écoute de sa partenaire, de s’abandonner au besoin de glisser en douceur à sa propre ouverture. Dans le monde des idées, de la réflexion, le même principe s’applique.


 
Un nouveau paradigme de notre façon d’agir apparaît souvent comme une menace à l’ordre établit. Il questionne, dérange, déstabilise, crée de l’inconfort, suscite la méfiance. Une vision différente d’une certaine réalité que nous percevons tous attire parfois la réprimande, la suspicion. Dans nos relations personnelles, nous sommes aux aguets en présence de gens inconnus dont nous faisons la connaissance. Qui sont-ils, que nous veulent-ils? Les femmes entre elles, les hommes entre eux, les femmes et les hommes entre eux. La tension tombe quand l’un et l’autre se plaisent, ne se sentent pas en danger.

Ça permet une certaine ouverture, un contact, un rapprochement. L’attirance, l’excitation, deviennent des moteurs d’attraction où les défenses tendent à disparaître. Le fort et le faible confondus, sans démarcation, sans genre ni sexe. « Tu peux en prendre autant que tu m’en donnes. Sinon, casse-toi. » Toute relation s’établit sur une base contractuelle. Il faut recevoir à égalité ou plus de ce que l’on donne. Quand l’un des deux se sent vampirisé en énergie, pendant trop longtemps, la relation court à sa fin.
 
Si nous choisissons l’hétérosexualité dans nos rapports, c’est que le modèle nous convient. Il l’est en fonction de plusieurs critères. La notion de faiblesse en est un qui écarte la possibilité de l’homosexualité. Les hétéros associent la notion de soumission/faiblesse à l’homosexualité. Par le fait même ils condamnent les femmes, qu’ils chérissent tant, en les associant au principe que la pénétration incombe à qui semble avoir une position de pouvoir.



Je ne fais pas ici l’apologie de l’homosexualité (je n’ai jamais eu de relation homosexuelle et n’en suis pas un qui s’ignore): je tente de montrer que les hétéros s’énervent le poil des jambes, en imaginant que pénétrer donne du pouvoir et de la considération, alors qu'être pénétré serait relégué à une position docile et dépendante. Ce qu’un hétéro supporte difficilement (ne pas généraliser). L’homosexuel étant à tour de rôle pénétrant et pénétré, son aspect possessif des autres semble diminué en conséquence. Encore là, tout dépend des personnes concernées.

La promiscuité masculine fait peur. Les hommes se sentent aussi menacés par les autres hommes. Plus beau, plus riche, plus populaire, plus fort, ils en imposent. Rajouter à cela un statut social en vue, l’intimidation sera complète pour ceux n’en ayant pas ou en en ayant un moindre. Nous ne voulons pas être pénétrés, ni par le corps ni par les idées. Nous sommes des têtes dures, fabriquées d’expériences qui nous ont donné raison. Pas question de les abandonner, ces raisons.

Entre connaissances, entre amis, dans la famille, nous gardons nos distances. Pour nous assurer d’un bon rempart entre nous lorsque nous nous rencontrons, nous nous donnons une poignée de main, assurant une distance suffisante de protection. L’accolade, bien que présente dans nos mœurs, se fait assez rapidement, avec en prime quelques tapes dans le dos, question de faire faire le rot à notre pote. Ou bien elle se fait avec moquerie, pour marquer le malaise.


 
Nous n’insistons pas trop pour rester collé à un autre homme à bras le corps. Tout d’un coup que le désir s’éveillerait, que l’excitation viendrait à poindre son organe? Les hétéros se protègent des autres hommes comme de la peste. Nous avons choisi d’être hétéro et ne renoncerons pas à cette illusion de virilité, qu’on associe à cette hétérosexualité. Comment être près/proches de la différence – la femme – si nous n’arrivons même pas à être près/proches de notre homologue? Cela viendrait-il du désir sexuel? de se sentir moins menacé? S’étreindre corps à corps entre homme n’est pas plus une nécessité qu’avec les femmes pour se saluer.

Je pense plutôt que la nécessité s’appelle ouverture, vulnérabilité, accueil et qu’à partir de ces états, la notion de se sentir ou jugé faible disparaît pour l’authenticité. Ce qui a à se mettre en place se fait alors sans anicroches, sans arrière-pensée. Les femmes, les hommes doivent baisser leur garde. Gère-mène et conquérant insufflent l'opposition, la réticence à être soi-même. L'issue finale n'a que la sincérité comme voie. Puisse-t-elle s'implanter en toute confiance.

ÉDITIONS 180 DEGRÉS

ESCLAVE JURIDIQUE