Parce que c’est un mot à la mode, l’engagement. Il suppose le libre-arbitre, le choix, comparativement  aux obligations d’il y a quelques décennies, du moins en Occident où le seul choix de partager sa vie avec quelqu’un ne s’autorisait que par le mariage, à la vie à la mort. Comme engagement on ne pouvait trouver mieux. Ce qui fait défaut avec l’engagement, ce sont les termes de l’entente. Dans un contrat il y a toujours une clause expliquant clairement ce qui lie les signataires. Il en va tout autrement dans une relation de couple.

Les termes deviennent implicites par défaut. Ils sont supposés être compris et vécus de manière égale par les deux personnes concernées. Par conséquent, lorsqu’il y a écart de conduite, des reproches, de la chicane, cela indique que l’une des deux parties n’a pas respecté son contrat. Une relation de couple c’est une relation contractuelle. Point barre.

Cette relation contractuelle n’évacue en rien l’humanité qui s’y déploie. En gros et surtout pour faire court – parce que j’ai pas le temps de niaiser – les relations humaines sont gérées comme les marchés boursiers. La différence réside dans le fait que ce soit une bourse physique, émotionnelle et mentale. Nous évaluons ce que nous pensons valoir. Nous en faisons la comparaison avec celles et ceux disponibles sur le marché. Quand nous décidons de nous « matcher »,  cette personne a de la valeur à nos yeux et en retour nous devrions en avoir pour elle également. Nous sommes passés d’un état plus ou moins neutre d’importance à trésor à chérir. L’intimité qui se développe se fait par investissement de soi. L’investissement de soi apparaît comme la condition d’engagement.  Il paraît donc difficile sur du court terme de cerner quelles seront les garanties d’un tel investissement. Autrement dit, avant  de se donner corps et âme à quelqu’un – se donner n’étant pas l’expression juste parce que l’investissement exige un retour – chacun met, en principe, cartes sur table en ce qui concerne ses besoins propres.



Une personne qui voudrait un enfant, voyager  beaucoup, aller danser régulièrement et qui ne ferait aucun compromis à ses besoins n’aurait pas l’idée de se retrouver avec celle qui ne veut rien de tout cela. C’est dire qu’avant d’aller plus loin dans la relation, vérification de l’investissement de sa personne. Bref, outre ce genre d’exemples, disons que le tour de l’une et de l’autre s’est fait grosso modo après quelques semaines de fréquentations, rendant l’investissement sécuritaire et le fait que la relation est bien entamée. Je conçois évidemment qu’on ne s’ouvre pas à n’importe qui sur nos besoins de former un couple en dressant notre liste sur le champ. Il n’y a pas que de beaux yeux ou de belles fesses pour nous combler. Il faut passer le test d’évaluation. Et, bien que l’extrait ci-dessous prend la femme pour illustrer mon propos, les hommes expérimentent le même processus à d’autres niveaux.

[…] « Elle le juge, l’évalue. Sera-t-il un bon amant? Un protecteur? Un bon père de ses enfants? Est-il capable d’avoir une direction dans la vie tout en se laissant transformer par le féminin? A-t-il à la fois des couilles et un cœur? De la puissance et de l’attention? M’aime-t-il réellement? Va-t-il rester avec moi? Elle a besoin de vérifier que l’homme puisse assurer, par ses qualités de leader, de courage, de protection, tout en étant tendre et prévenant. C’est le moment où la femme fait "durer le plaisir" de l’attente, en vivant les frôlements du désir qui monte et si possible en se jouant un scénario romantique "je l’aime, il m’aime". » , extrait de La force de la faiblesse d’une femme,  communauté sur Facebook, 15 février 2014.



Qu’est-ce qui permet d’alléguer qu’une relation de couple est un contrat? C’est vrai qu’à première vue une telle corrélation jette une petite froideur sur une union idyllique, un peu beaucoup éloignée du romantisme. La réponse se trouve dans la rupture, la séparation, le divorce. Combien de personnes se sont senties ou se sentent flouées, trahies, trompées lorsqu’elles traversent une telle épreuve? De diverses manières et pour différentes raisons, vengeance, malhonnêteté, souffrance, l’un et parfois les deux, veulent faire payer à l’autre cette désastreuse situation. La saigner à blanc. Pourtant, durant la vie de couple on essaie justement de partager tâche, finance, présence aux enfants, présence à l’autre de manière équitable. La séparation fait ressortir tous les injustices, les torts commis durant la relation. Le bilan est dressé, en négatif. Le contrat n’a pas été respecté et l’autre doit s’acquitter de la dette.

Or, le nœud de la crise ne réside pas dans les objets matériels, meubles, argent, maison. Comme il s’agit d’investissement à la bourse physique (sexualité), émotionnelle et sentimentale, le vrai problème se situe là. Les raisons de se séparer sont multiples. Les conditions dans lesquelles elle se fait le sont aussi. Mais si la liberté de l’une des personnes n’est plus respectée, que les paramètres de sécurités tels que l’exclusivité, la fidélité, l’honnêteté entre elles ont été transgressées, que la rupture est la seule solution envisagée, tout cet investissement émotionnel et sentimental apparaît comme pure perte. De là la sensation de s’être fait voler. L’éclopé pourra avoir de nombreux comportements que personne ne lui connaissait auparavant, simplement dans le but de se faire payer. C’est surtout l’impression d’un manque, que l’autre aurait déguerpi avec une partie de soi. C’est cette illusoire sensation de perte que nous tentons de récupérer en poursuivant  sans cesse la partie adverse.



« Je lui ai tout donné », « Je me suis sacrifié(e) pour elle/lui », « C’est de cette manière que je suis remercié(e)? », doléances qui reviennent  en boucle. En réalité, il n’y a pas de perte. Ni de temps, ni d’investissement ni de quoi que ce soit si ce n’est que la disparition d’un attachement. Rien ni personne ne nous appartient, ce que néanmoins l’investissement le laisse croire. La problématique actuelle ne demande pas de stopper notre ouverture  à soi et aux autres, seulement de l’être, sans attentes. Grandiose défi humain s'il en est un. Mensonge que de penser qu’on peut s’investir pour quelqu’un d’autre que soi sans retombées pour soi-même. Le narcissisme parental ainsi que le narcissisme relationnel en font foi. On retire son investissement dès qu’il y a blessure en nous lançant dans l’accusation et la culpabilisation de la personne que l’on juge responsable de notre état.

Investir en soi à vie, c’est payant. Profit illimité.

ÉDITIONS 180 DEGRÉS

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