IL S'APPELAIT HARRIS MITCHELL BLACK

Chacun des voyages apporte son lot de bons et parfois moins bons moments. Ayant été longtemps une voyageuse solitaire, j’ai souvent évité de parler du négatif par souci d’inquiéter mes proches. Des peurs, j’en ai vécu plusieurs, pas seulement des peurs de dépassement de soi, mais peut-être de naïveté. J’ai longuement hésité avant d’en parler, car je me questionnais sur la pertinence de mon intervention. J’ai eu honte de n’avoir rien dit avant. La seule faute est celle qu’on ne corrige pas, n'est-ce pas?

Il y a de ça deux ans, je partais pour 45 jours en Asie du Sud-Est. J’arrivais à Bangkok pour revenir par Singapour, ma ville favorite dans le monde après Montréal, bien sûr! Je venais de faire 32 heures de voyage quand je suis arrivée chez Harris Mitchell Black, ce Montréalais d’origine qui habite la Thaïlande. Je l’avais rencontré sur le populaire site Internet « couchsurfing », qui propose d’héberger les gens sur un canapé pour une ou plusieurs nuits. Je voulais essayer cette nouvelle formule et surtout connaître quelqu’un à destination. Sa mère était venue chez moi la veille de mon départ pour que je lui apporte des biscuits maison, des photos et une paire de chaussures. Nous avions discuté grâce à Skype, tous les trois. J’étais heureuse d’aller séjourner chez quelqu’un de chez nous.

J’avais acheté un guide voyage une semaine avant mon départ pour le lire dans l’avion. Un homme sympathique de l’Afrique du Sud, qui était assis à côté de moi, fut surpris de savoir que j’allais à Pattaya. Il m’a expliqué que c’était la capitale de la prostitution du pays. Il me conseillait d’aller ailleurs, mais j’avais les items de Harris. Il me conseillait de rester tout au plus deux nuits, le temps de récupérer le « jet lag ». Je suis arrivée en fin de journée chez M. Mitchell Black, Harris de son prénom. Je voulais dormir, car j’étais exténuée. Il m’a tenue éveillée afin que je rentre dans le « rythme » du pays. Il y avait plusieurs « couchsurfers » dans le coin et nous avions une sortie d’organisée. 

Il y avait un Australien, un Norvégien, un Américain, Harris Black et une femme thaïe (qui devait être une prostituée!). Je détonnais du groupe. Je les suivais à reculons. C’était des bordels à perte de vue avec des prostituées qui sollicitaient les hommes. Je voulais dormir (40 heures s'étaient écoulées depuis mon départ de Montréal) et l’environnement bordélique ne m’enchantait guère. Les hommes en manque de chair ont décidé que nous allions dans un bar de danseuses. Je regardais ces femmes, pour ne pas dire ces adolescentes, et l’âge des hommes qui payaient pour les services sexuels. Harris Black expliquait aux hommes comment se trouver une femme vierge gratuitement. Aurais-je peut-être dû quitter la région immédiatement?

Nous avons quitté cet endroit surréaliste et j’ai pu dormir sur le divan de Harris. Je n’ai plus de souvenir, car je suis tombée dans un coma de sommeil. Après une nuit à dormir profondément, avec le groupe de la veille nous sommes allés sur une île voisine pour revenir en fin de journée. À notre retour, nous sommes allés nous baigner dans la piscine de l’immeuble de mon hôte. À 19h15, il m’annonce que si je veux dormir là, je devrai lui faire une faveur sexuelle. Mon bikini était encore mouillé… J’ai ramassé mon sac et en 2 minutes, j’étais partie de chez lui. Je ne voulais pas rester dans cette région qui me dégoûtait. J’ai demandé au chauffeur de taxi d’aller à l’arrêt d’autobus pour Bangkok. À 23h15, j’arrivais dans cette grande ville. J’étais la seule occidentale parmi tous ces gens qui me regardaient curieusement. Croyaient-ils que j’étais une consommatrice de bordels? 

Un chauffeur de taxi, qui ne parlait pas l’anglais, a voulu m’aider à me trouver un hôtel. Vous n’auriez pas voulu débarquer du taxi en voyant ce qu’il me proposait. J’avais peur et je voulais retourner au pays. Je vivais encore un voyage d’enfer. Un peu comme à Bali, quand il a fallu que je fuie le pays. Je me suis raisonnée et j’ai prié. J’ai réussi à faire comprendre au chauffeur d’aller dans un café Internet. J’ai réservé une chambre d’hôtel dans une chaîne connue en Asie. Je m’offrais un quatre étoiles, je savais que la localisation serait correcte et la propreté des lieux ne serait pas un souci. J’étais sauvée! Par la suite, je n’ai pas osé informer le site de couchsurfing sur l’expérience vécue. Harris Black n’avait pas insisté et il m’avait laissé partir sans problèmes. Il m’a bien renseignée sur le pays et il m’a donné de bons conseils.

J’ai longtemps regretté de n’avoir rien dit. D’autres l’auront fait avant moi. Quand j’ai appris que Harris Black était recherché par l’Interpole. Il a été condamné pour fraude. Il a débuté par solliciter de l’argent pour trouver des emplois aux gens. Les gens payaient entre 500 $ et 800 $ pour embaucher Harris comme chasseur d’emploi. Ce n’était qu’une façade pour générer des revenus d’innocentes victimes. Par la suite, il me racontait avoir été sur les sites de rencontres par Internet en se faisant passer pour un pédiatre. Il était fier de me dire à quel point les femmes peuvent avoir la jambe légère pour essayer de plaire à un médecin! Il a quitté le pays pour s’installer en Thaïlande. Je me questionnais sur la façon qu’il pouvait bien gagner sa vie. Un inspecteur m’expliquait son « racket »… Il crée un lien de confiance avec les Occidentaux, puis il les sort dans les maisons de débauche. Par la suite, il prend subtilement des photos de ces messieurs, souvent pères de famille mariés… Vous imaginez sûrement la suite… Ces derniers sont victimes de chantage et doivent payer pour supprimer ces clichés compromettants.

Sur le site qui m'a dirigé vers cet homme, on met maintenant les femmes en garde contre lui, car il prend des clichés des femmes pendant qu’elles dorment et il menace de rendre ces photos publiques sur Internet. Je ne sais pas s’il a pris des photos de moi, car j’étais dans un coma. J’ai eu un « black-out ». Qu’a-t-il fait? Seul lui le sait et le diable s’en doute! Fallait-il se méfier des nôtres à l’étranger? Je ne suis pas ici pour faire le procès de Harris Mitchell Black, mais pour conscientiser les voyageurs. Je me taisais par respect pour sa mère, que j’avais rencontrée. Elle savait que son fils était malade, puisqu’il a été diagnostiqué psychopathe et elle n’avait pas jugé bon de m’informer de la santé mentale de son garçon.

J’ai été chanceuse malgré tout! Il faut sensibiliser les voyageurs qui croient à tort que tout le monde est fondamentalement bon et que les pays du tiers monde sont sécuritaires. Bonne ou mauvaise, chaque expérience de vie nous emmène à avancer et à devenir des personnes plus complètes et fortes… Avec la tragique histoire des sœurs Bélanger à Kho Phi Phi, de repenser à Harris en Thaïlande et quelques mois plus tôt, la détresse qui m’avait poussée à fuir l’Indonésie. Je ne regrette aucun de ces voyages, car ils font qui je suis aujourd’hui… Mes parents seront sûrement heureux d’apprendre que j’ai décidé d’accrocher mon « backpack »! Je voyagerai différemment, voilà tout…

Source : LaMetropole.com

VALÉRIE VANDAL

HARRIS BLACK