JOE LE TAXI DE NASSAU

Je suis allée réserver ma chaise longue et je suis partie à l’attaque du buffet. J’ai aussi compris que ce n’était pas sur ce bateau que j’allais engraisser. C’était beaucoup de friture et peu d’aliments sains. Je me suis servi une assiette et j’ai trouvé une place à une table avec des gens peu souriants. Tout comme moi, ils venaient d'amorcer leur dîner. Je ne sais pas trop ce qui m’est arrivé… Une chose est certaine, c’est que je suis tombée endormie à table. Un peu comme dans les films. Combien de temps a pu s’écouler entre mon arrivée à la table et mon réveil? Je ne pourrais le dire… Un fait est que mes voisins de table n’étaient plus présents et mon assiette avait disparu! Et mon cou me faisait mal.

Avec mon sourire légendaire, je suis allée me faire des amies autour de la piscine. Ce qui m’avait le plus frappé, c’est cet homme que nous avons surnommé New Jersey, qui nous a demandé : « Est-ce votre première croisière? » Montréal, qui était moi-même, et Long Island, qui étaient mes nouveaux amis, ont répondu par la négation. New Jersey a aussitôt dit : « Ne jugez pas par celle-ci! » Je venais de comprendre que le plaisir allait venir de nous.

J’ai décidé d’avoir de l’agrément dans cet environnement des plus lamentables. Tout est une question d’attitude… Tu t’amuses ou tu te plains… Quand la sirène a crié pour nous informer du départ, j’ai fait ce qu’il y avait de plus judicieux… J’ai commandé un « Bahamas mamas » (une boisson alcoolisée) et puis un autre et un autre… Progressivement, le bateau devenait de plus en plus beau et le cercle d’amis s’agrandissait rapidement. Alors nous avons connu West Virginia, New York, Buffalo, San Diego et Fort Lauderdale. C’était plus facile de retenir les villes que les prénoms.

L’animation a commencé. Vraiment impressionnant de voir six animateurs en ligne avec une tête de cheval en peluche sur un manche à balai. Le but de ce jeu : parier pour savoir lequel des chevaux arriverait en premier. Ne voulant pas enrichir ce navire, qui nous avait facturé déjà trop cher, nous avons parti notre ligue de parieurs sur le plancher du bateau. J’ai rarement entendu un groupe d’idiots crier autant pour gagner six dollars.

C’est Montréal elle-même qui a gagné! Il y a eu aussi le spectacle qui a joué à quelques reprises. C’était le même spectacle qui jouait en boucle. Il a joué six fois… Et je l’ai vu quelques fois! J’avais peut-être trop consommé de « Bahama mamas! »

À la fin de ma première soirée, je devais déjà connaître facilement une cinquantaine de personnes sur le navire. Malgré que mon occupation principale sur ce bateau fut de dormir. Je dormais presque toujours et partout. Les gens l’avaient aussi remarqué. Du moment que je trouvais une chaise pour me reposer, je faisais une sieste. J’espérais pouvoir dormir toute la nuit sur le pont, car ma chambre ne m’attirait guère. Même qu’un homme, effrayé par l’eau et le navire, avait tenu à me parler pour m’avouer que mon calme était son inspiration et l’apaisait. Sur 800 passagers,  il s’était fié à celle qui dormait partout pour le calmer!!

Nous sommes arrivés à Nassau par un très beau matin. Comme un scout, j’étais prête pour l’aventure. Contrairement aux gens, je n’avais pas pris d’excursion. Je préférais m’aventurer et découvrir par moi-même l’île. En me baladant, j’ai rencontré Joe, un chauffeur de taxi, qui me demandait si j’avais besoin d’information. Je lui ai posé quelques questions sur l’histoire, la géographie et l’économie de son pays. Il était capable de dialoguer et je dois l’avouer, il avait du contenu. Je lui ai demandé son tarif. Il me propose 75 $ pour trois heures. Je lui ai offert 50 $ pour quatre heures. L'accord était conclu.

J’ai demandé à Joe de me montrer son île de la façon qu’il aimerait qu’on la lui montre. J’ai passé une journée très sympathique, surtout inoubliable. Les quatre heures se sont allongées. Nous avons pris une bière avec des « locaux » (les amis de Joe) et j’ai vu, selon moi, le vrai Nassau. J’ai parlé avec les gens de la place : c’est l’arrière-pays qu’on m’a montré.

Joe m’a avoué n’avoir jamais vu une femme comme moi. Il disait que j’étais « One of a kind ». Je crois avoir vu tout ce que Nassau avait de mieux à offrir. Joe m’avait enseigné à prendre mon temps et à ne pas oublier mes amis. C’est peut-être pour cette raison qu’il m’a présenté à sa gang. Le temps a passé et je n’ai jamais revu Joe… Joe profite de l’instant présent. Il a aussi compris que la seule façon d’avoir des amis, c’est d’en être un.

Source : LaMetropole.com

VALÉRIE VANDAL