COMPORTEMENTS ET RÉSEAUX SOCIAUX

 

Nous sommes dans le monde de l’ego. Tous les supports médiatiques, journaux, livres, radio, télévision, internet, sont de prime abord virtuels, en comparaison d’une relation entre deux personnes, en chair et en os. Néanmoins, que nos relations soient de l’ordre du virtuel, du fictif, de l’imaginaire, du fantasme ou du réel, ce que nous ressentons à travers nos échanges est bel et bien vivant en nous.

L’univers des réseaux sociaux nous a permis, à l’opposé des autres formes de média, de nous construire un petit chez soi, une « propriété privée » unique, d’étayer certains aspects de notre personnalité et de notre identité par nos comptes, nos murs de discussion, nos partages d’informations de toutes sortes. Malgré les distances entre nous, nous sommes dans un rapport social et en partie réelle, en nous impliquant sentimentalement et émotionnellement.
 
Je retiens l’importance de nos réactions qui se manifestent, lorsque nous interagissons avec les autres. Un milieu qui permet tout de même d’être relativement actif, en lisant et en écrivant du tac au tac sur un sujet donné. Nous sommes sollicités, autant que nous sollicitons, dans nos émotions et sentiments, soit en étant en expansion dans la joie, l’excitation, soit dans la contraction, la peur, la colère. Rarement resterons-nous indifférents.



Un des nombreux points qui me chicote particulièrement est la manière cavalière utilisée par plusieurs, pour quitter une personne qu’ils avaient en qualité « d’ami.e. » Vous côtoyez dans la vraie vie un.e collègue, un.e ami.e, un  membre de la famille, une connaissance depuis longtemps et soudain, sans avertissement clair, cette personne vous quitte. Elle disparaît sans laisser de trace. Pendant des mois, des années, vous échangiez sur tout et sur rien, sans nécessairement être d’accord sur tous les points de vue de chacune, chacun. Un lien s’était créé, une habitude relationnelle s’était établie dans votre monde.
 
Je persiste à croire que mettre fin à une relation, même virtuelle, ne devrait pas se faire en tournant les coins ronds. Plusieurs penseront que parce qu’il s’agit d’un monde séparé par un écran, les comportements n’impliquent aucune responsabilité. Que du jour au lendemain, nous pouvons « deleter » n’importe qui, sans qu’il y ait des conséquences. C’est vrai que dans la vraie vie, il y a des gens qui disparaissent sans raison apparente, à la suite d’une relation intime et qui ne reviennent jamais pour boucler la boucle, laissant l’autre dans le plus grand désarroi.



Pas étonnant de retrouver ce type de conduite sur les réseaux sociaux, moins menaçant qu’en présence d’une personne. Comment avez-vous réagi au moment où, du jour au lendemain, une personne qui faisait partie de votre intimité, de votre entourage proche, a décidé de ne plus vous adresser la parole, même si vous avez réussi à soupçonner le prétexte de ce mutisme? Qu’est-ce qui est monté en vous, comme sensations? Une perte de références, un sentiment de vide?
 
Une infinité de possibilités émotives peut se présenter et demander votre attention. Elles crieront toutes en même temps; moi, moi, moi. Peut-être que les voix les plus fortes seront celles du sentiment d’abandon, de rejet, de culpabilité, de ne pas avoir été à la hauteur, de dévalorisation, d’estime de soi, bref une cacophonie intense de malaise. L’inverse peut aussi se présenter dans des sentiments de joie, de libération, de délivrance. Dans un cas comme dans l’autre, notre réaction est vivante en nous-mêmes, nous fait vibrer et ressentir la situation sans remettre en cause sa réalité tangible.

Un côté sombre et lâche est manifeste dans nos sentiments, celui du manque flagrant de vérité. Pourquoi ne pas avoir été franc avec la personne qui vous empoisonnait et attendre de vous sentir libéré, au lieu de prendre les devants et de mettre fin à la relation? Pourquoi la personne qui vous quitte était-elle incapable d’une telle pratique, l’honnêteté? Le virtuel ne fait pas affaire avec des robots uniquement.


 
L’unanimité ne fait pas partie de ce monde, quoi que nous disions, quoi que nous fassions. L’accord entre tous ne semble pas encore à nos portes. Cela justifie-t-il pour autant que nous continuions de fuir, en prétextant que le virtuel n’est pas la vraie vie? Lorsque nous coupons les ponts en catimini, secrètement, nous envoyons un message codé, une énigme que l’autre devra déchiffrer avec pour premier indice que c’est de sa faute si cela arrive (???); "devine pourquoi j’ai pris la poudre d’escampette, c’est ton problème, ce n’est pas le mien. Je te laisse te faire ronger de l’intérieur avec ton mal être, tu n’as pas su me garder et bien paie le prix maintenant." Ou bien nous espérons que notre silence soit compris sans qu’elle/il se ronge les chairs (???).

C’est fou comme ça ressemble à une séparation de couple où l’un des deux se taille en emportant avec elle/lui le bien-fondé de son attitude. Être éjecté d’une plateforme relationnelle passe pour être anodin. Il n’en est rien. Peut-on se dire véridique, authentique dans la vraie vie, quand sur une base virtuelle, où la seule menace est de perdre des contacts, nous ne sommes pas en mesure d’exprimer notre vérité, sans peur de perdre sa connexion internet (Hahaha)? Non mais!
 
Une autre question me taraude; que faire avec ces gens qui nous ont quittés sans mots dire sur les réseaux, mais que nous croisons au travail, dans la famille, dans un endroit public? La question peut paraître superficielle si nous la considérons sous l’angle virtuel du « c’est pas grave, les réseaux sociaux, il ne faut pas prendre ça au sérieux ». Et le malaise qu’il crée suite à la fuite de l’un, nous le prenons au sérieux, lui, ou bien nous le taisons comme si de rien n’était?



N’oubliez pas, votre ex a disparu de votre vie. Et parce qu’il travaille au même endroit que vous, est la sœur/le frère de votre meilleur.e ami.e, demeure dans le même quartier, vous finissez par la/le croisez. Vous vous dites que tout est beau, sourire aux lèvres, prêt à l’accolade et la vie continue? Non merci, pas pour moi. Tu veux une connexion de personne à personne, un salut, un bonjour, tu devras non pas m’expliquer (ça évite les discussions sans fin)  le pourquoi de ton défilement, mais simplement m’éclairer en mettant un point final entre nous, en me le disant ; c’est fini, ça ne pouvait pas aller plus loin.
 
Nous n’avons pas besoin de savoir pourquoi la relation s’est arrêtée. Nous avons besoin de savoir que la relation s’arrête, mais jamais en l’apprenant à notre insu. Une telle surprise cause plus souvent qu’autrement un choc, qui varie en intensité selon nos attentes, nos attachements, la promiscuité établit. Pour certains, cela reste un jeu, une partie de cartes où ils gagnent et perdent, sans trop sourciller. Pour les autres, une planète aux multiples fonctions, qui demande franchise et respect.

Un écran ne protège de rien, surtout pas de l’hypocrisie de soi-même. Les mots que nous y déposons ou ceux que nous récoltons sont des gestes et des paroles, virtuelles sans doute, mais pas plus dénués d’expressions et de répercussions que ceux que nous employons dans le cadre des corps à corps quotidiens de notre réalité matérielle. La vraie vie, elle, est en soi et ce soi, où qu’il se trouve, résonne à ce qui est sa réalité du moment. L’écoute, l’attention, la délicatesse, forment la base et les points de repère de toute communication. Le virtuel n’y échappe pas. Le monde, l’ego l’oublie, par crainte de disparaître s’il ne peut plus fuir. La fuite le maintient en vie, trouve des raisons pour avoir raison. Et puis dans le fond, nous sommes tous connectés, par-delà ce branchement temporaire.

ÉDITIONS 180 DEGRÉS

ET SI L’ARGENT M’ÉTAIT COMPTÉ?